Les regards d'homme : Déconstruire le regard masculin sans l’effacer
- Yohann Elhadad
- 13 juin
- 3 min de lecture
Dernière mise à jour : 17 juin
Regards d’homme – Le regard, le corps, la création
Série : Regards d’homme – Le regard, le corps, la création
Je suis photographe. Homme. Et j’ai été nourri, comme tant d’autres, par des images que je n’ai pas choisies. Des films, des sculptures, des tableaux, des photos.Toujours des femmes belles, offertes, cadrées avec soin — et presque toujours vues à travers un regard masculin.

Quand j’étais adolescent, je ne voyais pas encore ça.Je voyais juste la beauté. Le trouble. Le désir.
Ce n’est que plus tard que j’ai compris que ces images m’avaient appris à regarder sans me poser de questions.
Un regard dominant, transmis sans conscience
Dans l’histoire de l’art occidental, le corps féminin a été mille fois représenté.Mais dans quelles conditions ? Pour qui ? Par qui ?
Le peintre, le sculpteur, le photographe — tous (ou presque) des hommes. Le modèle ? Presque toujours une femme. Et souvent silencieuse, figée, transformée en image. Offerte au regard, mais rarement à la parole.
Ce regard-là, je l’ai hérité sans le vouloir.Il s’est glissé dans ma main, dans mon œil, dans ma façon de cadrer. Pas par méchanceté. Par transmission.
C’est ce qu’on pourrait appeler un regard dominant doux.Il n’impose pas, il n’agresse pas — mais il décide.Il décide de ce qui est beau, de ce qui mérite d’être montré.Et pendant longtemps, j’ai cru que c’était ça, créer.
Le trouble dans mes propres images
Il m’est arrivé de revoir certaines de mes photos avec un léger inconfort. Des images techniquement réussies, lumineuses, flatteuses. Et pourtant… quelque chose sonnait faux. Ce n’était pas la modèle. Ce n’était pas son corps. C’était mon regard. Ou plutôt : l’absence de dialogue dans ce regard.
Je me suis demandé :
Est-ce que cette image raconte quelque chose d’elle ? Ou est-ce qu’elle raconte seulement ce que moi j’ai voulu y voir ?
Il ne s’agit pas de tout remettre en cause. Mais d’accepter que parfois, même avec les meilleures intentions, on fige une image dans un cadre qui n’a pas toujours été choisi à deux.
Et ça, aujourd’hui, je ne peux plus l’ignorer.
Peut-on érotiser sans dominer ?
J’aime le corps féminin. Sa force, sa souplesse, son mystère. J’aime ses courbes, ses lignes, ses textures. Et j’aime aussi ce qu’il évoque, ce qu’il fait naître.
Mais alors revient la question :
Où est la frontière entre célébration et prise de pouvoir ? Est-ce qu’érotiser, c’est déjà posséder ? Ou est-ce qu’on peut désirer sans réduire ?
Je crois qu’on peut. Mais à une condition : ne pas fuir la question. Ne pas faire "comme si". Ne pas prétendre à une neutralité qui n’existe pas.
Créer en conscience, c’est accepter cette tension, ce paradoxe. Et parfois, faire un pas de côté. Changer le cadre. Changer la lumière. Changer la place que je prends.
Déconstruire le regard masculin sans l’effacer : Le regard comme co-création
Ce qui m’aide le plus, aujourd’hui, ce sont les femmes que je photographie. Leurs réactions. Leurs silences. Leurs rires. Leurs mots après la séance. Elles ne me laissent plus tricher.
Quand je les écoute vraiment, je découvre une autre manière de créer. Pas un regard qui capte, mais un regard qui se laisse traverser. Un regard qui devient un espace entre deux personnes, et non plus un faisceau qui va dans un seul sens.
Je vois la différence entre une photo où je "tiens" la scène, et une photo où quelque chose s’est passé vraiment, où la personne s’est sentie exister en tant que sujet, et pas seulement en tant qu’image.
Post-MeToo : malaise, mais pas censure
Depuis #MeToo, je sens que beaucoup d’hommes hésitent.Ils ne savent plus comment regarder, comment créer, comment approcher.
Et je les comprends.
On peut avoir envie de se taire, de reculer, de ne plus rien montrer. Mais à mon sens, ce serait un faux apaisement.
Le vrai chemin, c’est celui de la responsabilité. Pas la peur. Pas la censure. Juste cette conscience nouvelle :
Ce que je montre, je le montre en tant qu’homme. Et ce regard-là, il a un poids. Une histoire. Une force.
Mais il peut aussi avoir une douceur, une ouverture, une évolution.
Conclusion
Je ne sais pas s’il est possible d’érotiser sans jamais dominer.Mais je crois qu’on peut regarder autrement. Qu’on peut désirer sans figer. Créer sans imposer. Photographier sans effacer.
Et si je continue à prendre des photos aujourd’hui, c’est pour chercher cet endroit-là : où le regard ne prend pas, mais accueille. Où il ne désire pas en silence, mais en dialogue. Où il ne fige pas, mais révèle une présence partagée.
Yohann Elhadad - auteur de l'article : Les regards d'homme : Déconstruire le regard masculin sans l’effacer
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